Les lieux insolites de la Grande Guerre: le lycée Saint-Jude à Armentières

Cet été, en préambule du centenaire de la guerre de 14 qui sera commémoré dès septembre, nous vous proposons de revisiter des lieux de l’Armentiérois qui ont vécu ces heures sombres de notre histoire. Lycées, fermes, bunkers… Aujourd’hui, l’institution Saint-Jude, à Armentières, qui a gardé sa chapelle intacte hormis le toit.
En 1915, c’est dans sa salle des fêtes que fut donnée la première de « Mademoiselle from Armentières », une saynète inspirée des circonstances de la naissance de la chanson, pour les soldats anglais.

« Nos élèves étaient là jusqu’en 1915 », assure Nicolas Carlier, directeur, qui exhume les documents patiemment engrangés par les anciens élèves sur la période de la Grande Guerre. Lieu sanitaire, comme d’ailleurs le lycée Gustave-Eiffel, sa cour était occupée par des ambulances hippomobiles. Voici le témoignage d’André Delannoy, élève de 1904 à 1915 : « Quel singulier aspect a pris notre collège ! (l’institution s’appelait collège ecclésiastique) Dans les cours de récréation on y trouve des voitures d’ambulance, des tas de foin, une cuisine en plein vent, les préaux garnis de chevaux de trait, au poil luisant, orgueil des services britanniques de l’arrière. Les études servent d’hôpital. La classe de 9e sert de magasin ; c’est le fief du quarter master qu’il ne fait pas bon approcher. Mais comme le planton a perpétuellement envie de rhum, on obtient de lui tout ce que l’Angleterre délivre à ses troupes : cigarettes, confitures, bully-beef, et allumettes dont la ville est complètement démunie. Nous restons sept élèves pour préparer le baccalauréat. Chaque matin, nous découvrons les morts de la nuit. »

« Mademoiselle from Armentières »

Les archives notent aussi que la salle des fêtes a accueilli la première représentation de Mademoiselle from Armentières en 1915, dans le cadre du Théâtre de variétés ou Fancies, cher aux soldats anglais. L’état-major souhaitait maintenir le moral des troupes. On rejouait la scène qui a donné naissance à la chanson. Ce serait un Tommie, par ailleurs membre du Théâtre aux armées, Red Rowland, sergent, 27 ans, qui aurait été témoin de la fameuse gifle donnée à un officier anglais, qui s’était permis un geste déplacé, par la serveuse du café de la Paix, Marie Lecocq, pas du tout demoiselle mais veuve. Qu’à cela ne tienne, le soldat anglais trousse trois couplets en adaptant un air connu de l’époque et cela devient une chanson à la mode, avec plusieurs autres couplets et variantes, dans l’armée britannique, avant Tipperary.

Par ailleurs, la nouvelle chapelle (l’ancienne ayant brûlé en 1893), édifiée en 1913, don de l’industriel Paul Lambert-Destailleurs, dédiée à Notre-Dame du Bon-Conseil, a traversé la guerre et ses bombardements sans trop d’encombres : seul le toit a été endommagé. Alors que les autres bâtiments ont souffert des bombardements, les dommages s’élevant à deux millions de francs de l’époque. « Et les orgues sont d’origine », précise le directeur. Soixante-quatre élèves et quatre professeurs, dont l’abbé Camelot, sont tombés lors de cette guerre. Une plaque leur rend hommage dans la chapelle.